mardi 25 janvier 2011

La Neutralité du Net : le terrible problème des tuyaux...

Bonsoir à tous.

J'avais dans l'optique de vous expliquer oh combien le rapprochement entre Orange et Dailymotion était dangereux pour la Neutralité du Net... Mais avant toute chose... J'ai pensé qu'un article préliminaire visant à expliquer ce qu'est la Neutralité du Net, pourquoi est-elle importante, et surtout, qu'est ce qui la met en danger, ne serait pas de trop.

Comme souvent, je ne prétends pas à un article sans erreurs, ni même faire le tour d'une question. Aussi, je vous enjoint à aller chercher sur le net des informations complémentaires sur ce sujet, que je ne saurai vous résumer en un seul billet.

Également, s'il se trouve que vous êtes plus calé que moi sur le sujet, je vous invite à me faire part d'éventuelles observations ou corrections dans les commentaires, ouverts à tous, sans inscription nécessaire. Je corrigerai derechef.




La Neutralité du Net. Kézako ?

Je me baserai sur Wikipedia afin de commencer une approche sur ce concept.
"La neutralité du Net ou la neutralité du réseau est un principe fondateur d'Internet qui exclut toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de l'information transmise sur le réseau."

En gros, votre fournisseur d'accès à Internet n'a pas à traiter l'information différemment selon qu'elle soit de la vidéo ou du texte, et qu'elle que soit l'endroit d'où elle vient et où elle va.

Pourquoi une telle règle ?
Tout simplement car acheminer "différemment" de l'information selon sa nature et sa destination implique deux choses.

La première, c'est que votre prestataire technique sache de quelle nature est l'information. Il sait donc ce qui transite sur votre connexion Internet. Il sait si vous recevez des emails, de qui vous les recevez, si vous allez sur des sites de jeux en ligne ou des sites porno... Imaginez la puissance d'un organisme qui saurait TOUT ce que vous faîtes en ligne...



Dans le jargon, on appelle ça "ouvrir les paquets http" : le DPI pour "Deep Packet Inspection", l'inspection de paquet en profondeur. Cette expression parle d'elle même.
Que vous cryptiez ou non votre connexion, le FAI (et ses techniciens) peut voir ce qui passe grâce au DPI. Un technicien d'Orange m'a récemment confié qu'ils pouvaient déjà le faire.
Ce n'est tout simplement pas acceptable. C'est une grave atteinte à la confidentialité des correspondances, au secret médical, et au droit à la vie privée (entre autres).

Les FAI utilisent une infrastructure CISCO, la même qui a sert en Chine pour filtrer le Net. Et les seuls concurrents de CISCO, ... Sont des marques chinoises...



La deuxième implication de l'acheminement priorisé des données est la suivante : la censure.
Si le FAI met en place un moyen technique de différencier l'information selon sa nature, il sera très simple pour lui de rendre l'accès à tel ou tel type d'information plus difficile.
Cela se traduirait pour les utilisateurs par des lenteurs, des pages inaccessibles, ... Vous verrez plus bas que cela à déjà eu lieu.
Autant le filtrage de la LOPPSI me fait joyeusement rigoler, autant la mise en place de tels procédés me fait flipper.
On appel cet ensemble de procédé de priorisation des flux, la QoS pour "Quality of Service" en anglais, soit "qualité de service".

C'est le nom qu'ont trouvé les FAI pour légitimer ces pratiques.
Elles ne sont, pour l'instant pas mise en place. Mais c'est en négociation à un niveau européen.

Pourquoi Qualité de Service ? Pourquoi les FAI rêvent-ils de porter atteinte à ce point à la Neutralité du Réseau ?
Tout simplement parce que l'acheminement des données leur coûte cher, très cher. Une fortune même. Notamment depuis qu'Internet s'est généralisé, les tuyaux ne sont plus assez gros pour faire transiter ce paquet phénoménal de données.
Les calculs sont vite faits : si les FAI pouvaient faire transiter les données par les tuyaux qu'ils voulaient, selon la nature des données et leur origine, ils pourraient, de ce fait, gagner en performance, et en coûts.
Car les FAI louent leurs tuyaux à des super FAI, qui leurs facturent la bande passante utilisée par les abonnés.

Alors quand Google se pointe avec Youtube, qui se met à faire de la HD (qui pompe des masses astronomiques de bande passante, près de 10% de la bande passante mondiale) autant vous dire que les FAI n'ont qu'une seule envie : facturer Google. Surtout quand on voit ce que Youtube rapporte.



Mais Google est une firme tellement puissante, qu'ils font un gros doigt aux FAI.
Google tient aux FAI le discours suivant : si vous voulez des abonnés satisfaits, il vous faut un accès à Youtube digne de ce nom. Si vous ne voulez plus payer la bande passante utilisée par vos abonnés pour accéder à Youtube, vos abonnés vont partir à la concurrence.Vous n'êtes même pas en position de nous demander de l'argent.

Alors là, imaginez Orange contre Google. Pourquoi, à un moment, Youtube était si lent pour les abonnés Orange ? Parce qu'Orange n'avait pas envie de payer la bande passante nécessaire à ses prestataires pour fournir un service de qualité à ses clients... 

Et qui gagne à votre avis entre Orange et Google ?
Ben c'est Google. Parce que Google, sur le net, c'est Dieu.



Mais Orange, ils sont vénères, alors ils sont devenus super FAI, ils revendent de la bande passante aux autres FAI. Ils se sont implantés dans plusieurs pays.
Et aujourd'hui, ils ont acheté Dailymotion, pour que leurs abonnés aient un super accès à Dailymotion, et un accès de merde à Youtube, pour emmerder Google, qui tire ses revenus de la publicité sur Youtube. Et si tous les abonnés d'Orange, et les abonnés des FAI qui louent des tuyaux à Orange, se barrent sur Dailymotion parce que c'est moins lent que Youtube, et ben Youtube, ils feront moins de thunes.

Le rapport de force risquerait donc de s'inverser entre Google et Orange.

De surcroit, Orange (et d'autres) n'excluent plus de s'allier aux ennemis d'autres gros mangeurs de bande-passante : les pirates.
Ceux qui téléchargement des films, des séries et de la musique font péter la consommation de bande passante mondiale, et emmerde les FAI. Ils font aussi péter un câble aux lobbys de l'industrie culturelle.
Un rapprochement entre eux les rendraient beaucoup moins vulnérables aux attaques de Google. 
On voit par exemple que Google est obligé de négocier très durement avec l'industrie culturelle pour sa GoogleTV.
Et nous savons de quoi l'industrie est capable quand il s'agit de défendre son bief steak : couper nos accès à Internet, purement et simplement, sans autre forme de procès (cf. HADOPI).




Bref, voilà un petit état des lieux des luttes de pouvoir inhérentes à la consommation de bande passante, et donc, via la QoS, à la Neutralité du Réseau.

Tout ça pour un problème de tuyaux.
Revenons un peu à la QoS.

Nous arriverons à un moment ou à un autre, QoS ou non, où les infrastructures actuelles ne tiendront plus. Et personne ne peut prédire quand. Les FAI devront de toute façon investir de manière durable dans les tuyaux qui font transiter Internet. Il ne sert à rien de repousser cette date avec des projets liberticides.

Les FAI doivent se souvenir de leur rôle : acheminer de l'information, quelle qu'elle soit, quelque soit sa provenance et sa destination.




Il y a un autre avantage de la QoS pour les FAI : savoir ce qui passe sur votre connexion leur permets d'établir un profil marketing de chaque abonné. Ces profils sont ensuite revendus à des boîtes de pub. Et ça, ça vaut son pesant de cacahuètes.

Tu flippes hein ? Ben moi aussi.
Il y a néanmoins un dernier acteur dont nous n'avons pas parlé. C'est Apple.

Il ne faut pas croire qu'Apple se fou de tout ça : Apple compte les points en mettant les opérateurs  de téléphonie mobile (qui sont souvent les FAI) à sa botte avec l'iPhone, et en regardant Google mettre des moyens pour contrer les opérateurs, à défaut d'en mettre pour concurrencer Apple.


MAJ : En me relisant, je me suis rendu compte qu'Apple mettait aussi l'industrie culturelle à sa botte : l'iTunes Store est le plus grand super marché en ligne de produits culturels...

Steve Jobs a décidément tout compris.

Think Different !


2 commentaires:

  1. Puisque tu invites à commenter ton billet, je vais prendre note dans la case prévue à cet effet des erreurs et approximations que je trouve.

    En premier commentaire, la case de commentaire est péniblement microscopique, et n'incite pas à faire une réponse construite.

    1. Non, à ma connaissance, aucun outil en vente libre, ni aucun code publié, ne permet de faire une inspection d'une contenu chiffré avec les méthodes classiques (SSL). Ce qui existe, ce sont des outils qui permettent de faire une analyse statistique, qui se base sur le profil du trafic, et non sur son contenu (tel type de débit, structuré de tel façon utilisant tels ports, c'est a priori du bittorrent). Bref, le DPI, ce n'est pas possible sur du SSL. Par contre, de l'identification de trafic pour filtrer le P2P, oui, ça, ça marche (on trouve les références au catalogue SandVines, par exemple).

    D'ailleurs la réplique est déjà en cours, sous formes de protocoles ayant un profil de trafic moins reconnaissable, en injectant du bruit blanc à certains endroits.

    2. Les FAI n'utilisent pas tous du Cisco. Et il n'y a pas que Cisco qui fasse des équipements de filtrage. Alcatel en fait également, comme tous les grands constructeurs.

    3. Non, l'acheminement des données ne coûte pas une fortune aux FAIs. Ils disent que ça leur coûte une fortune, ce qui n'est pas la même chose. La facture de transit d'un opérateur comme Free ou SFR, c'est quelques centimes par abonné et par mois. Je n'appelle pas ça une fortune. Une charge qui est de l'ordre de 1% du chiffre d'affaire, c'est à prendre en compte dans un modèle économique, mais ce n'est pas structurant.

    4. Oui, les FAI louent des tuyaux pour accéder au vaste monde du dehors (du transit). Non, ils ne passent pas par là pour joindre Google (c'est Google qui se charge du transport international, et qui livre gratuitement son trafic à Paris). Par contre, ils passent bien par ces tuyaux payants pour joindre la majorité des services, simplement Google n'est pas le bon exemple.

    La bonne explication sur "pourquoi les FAIs veulent faire payer les fournisseurs de service" est beaucoup plus à chercher du côté "parce qu'ils sont en position de le faire", puisqu'ils sont un point de passage obligé entre le fournisseur de services (Google, Facebook, etc) et les clients (ce qu'on appelle les "eyeballs"). Ensuite, ils cherchent également à fixer des règles de priorité pour promouvoir leurs propres services (Orange veut favoriser Dailymotion face à YouTube, je vais pas te faire un dessin).

    5. Dans la bataille entre Orange et Google, il n'est pas clair que Google ait gagné. Ce qu'on en sait, c'est qu'un accord commercial a été trouvé. Mais bien malin celui qui saura dire si Google a payé, ou si Orange a cédé en rase campagne. Je ne crois pas que Google ait lâché directement du cash, ce n'est pas leur approche. Par contre ils ont put faire des concessions (par exemple accepter de livrer le trafic en région, et pas seulement à Paris, ou prendre des engagements sur la répartition du trafic).

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  2. (La suite, les commentaires sont limités en longueur)

    6. Le cliché qui dit que les pirates consomment beaucoup de bande passante est partiellement faux. Les FAIs ont lontemps crié qu'on les égorgeait à tant télécharger en peer2peer, et beaucoup d'entre eux ont volontairement dégradé la qualité du P2P (ex. Free sur le non-dégroupé). Reste que depuis HADOPI, une grosse partie du trafic se reporte vers des solutions qui sont beaucoup plus complexes à surveiller (DDL, streaming, etc). Et là, les FAIs se sont réveillés avec un gros chagrin.

    Le P2P, ça fait des gros traffics, mais qui sont très répartis, donc qui s'écoulent en moyenne sur des liens nationaux, et qui se répartissent sur les différents liens de sortie. Alors que le DDL et le Streaming, c'est tout depuis un point central, donc tout le trafic de tous les abonnés veut sortir par la même porte.

    Pour te donner une image, dans une zone pavillonaire, si tout le monde se lève de son canapé et va dans la rue, bin, il se passe rien. Si dans une barre d'immeuble tout le monde se lève de son canapé pour aller dans la rue... Bin c'est le foutoir aux ascensseur, et c'est la jungle à la porte de l'immeuble pour réussir à sortir.

    7. La saturation du réseau, que tu présentes à un moment comme innéluctable, est une vue de l'esprit. Ça fait 15 ans que j'en mange du réseau, et qu'il croît à une vitesse à peu près constante (en gros, plus de 30% de croissance annuelle). Donc, si personne n'avait jamais rien redimensionné, il aurait explosé il y a déjà bien longtemps.

    Le risque de saturation est donc en grande partie fantasmé. Si les opérateurs continuent à faire leur boulot, c'est-à-dire à fabriquer le produit qu'ils vendent à leurs clients, à savoir un réseau, alors il n'y aura pas de saturation.

    Une vraie saturation, venant du fait qu'on ne peut plus, sauf à faire des investissements délirants, faire croître le réseau, on en est généralement TRÈS loin. Ce qu'on risque, c'est au pire quelques saturations très locales, par exemple quand il y a une seule antenne 3G avec trop d'abonnés dans le voisinage.

    Et ça, comme toujours, ça se résoud en investissant (4G, femtocell, etc).

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